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Les suppléments: Food For Thought*

Photo du rédacteur: ClaudelleClaudelle

Dernière mise à jour : 15 janv.

(*Matière à réflexion)


En tant que propriétaires de chevaux, nous souhaitons tous optimiser la santé de nos animaux avec la meilleure alimentation possible. Mais comment choisir le bon complément de foin/pâturage? La supplémentation est-elle vraiment nécessaire ou c’est une autre trappe à cash?

 

Entre moulées fortifiées, compléments de vitamines/minéraux, herbes, huiles, grains ou autres, le choix est vaste sur le marché actuel. Mais obtient-on réellement les effets recherchés avec ces produits? Peut-on logiquement "équilibrer" la ration d’un cheval?

 

Ce que je vous propose aujourd’hui, c’est une remise en question des idées véhiculées et des recommandations nutritionnelles actuelles. C’est aussi un rappel du GBS (gros bon sens). Car ce que je vois sur le terrain n’est vraiment pas idéal: obésité, ulcères, carences, tumeurs digestives, OCD…. Nos chevaux ne sont pas moins malades qu’avant, au contraire! Et pourtant, ils sont si bien nourris?

 

Toute cette réflexion a débuté après avoir découvert une carence en vitamine E sur deux de mes chevaux, malgré une ration "sur la coche" incluant une supplémentation quotidienne adéquate. Puis, j’ai appris les cas d’une vingtaine de chevaux dans mon entourage avec le même problème, tous alimentés en respect des recommandations du NRC et suivis par des nutritionnistes. Il y a définitivement quelque chose qui ne tourne pas rond! Alors voici les questions que je me suis posées, et qui ont mené à un changement de gestion pour mon troupeau.

 

Je tiens à souligner cependant que je ne suis pas docteure en nutrition, ni médecin vétérinaire ou agronome. Cela dit, je vous présente cette réflextion après trente ans à la garde de chevaux, à réfuter mes pratiques, à comparer ce qui se fait ailleurs dans le monde et à étudier l'alimentation équine - tant à l'université que sur le terrain. Je n’ai définitivement pas toutes les réponses aujourd’hui, mais je vous invite, vous aussi, à réfléchir sur les questions suivantes:

 

1-    Le foin est-il complet ou suffisant? (NON)


C’est bien connu, l’herbe perd certaines qualités nutritives au séchage et suivant l’entreposage (par exemple la vitamine E). [1]

 

De plus, la composition du sol varie d’une région à l’autre, ce qui influence la teneur en nutriments des plantes fourragères qu’on y cultive. Ainsi, le foin peut présenter des excès (parfois toxiques) ou des carences, notamment pour le sélénium[2].

 

Par ailleurs, la météo saisonnière, ainsi que les pratiques culturales modernes, influencent grandement la qualité du foin : utilisation d’engrais ou pesticides chimiques, monocultures, choix de cultivars, stade de coupe, etc. Tous les foins ne sont pas égaux!

 

En outre, le cheval domestique, nourri majoritairement au foin sec, a un régime très monotone comparativement à l’alimentation du cheval sauvage. En effet, ce dernier parcourt une grande distance au quotidien, il choisit parmi une variété de plantes natives provenant de sols divers et il s’adapte au rythme des saisons, ce qui implique des périodes offrant plus ou moins d’abondance.

 

En bref, le foin n’est pas toujours suffisant à lui seul pour rencontrer les besoins des chevaux, et présente souvent un déséquilibre nutritif s’il compose 100% de la diète de notre animal.

 

2-    Peut-on logiquement “équilibrer” la ration? (NON)

 

Quand je vois les propriétaires calculer religieusement tout ce que le cheval ingère pour définir une ration avec le nutritionniste, je me vois il y a quelques années et je sympathise. Car il y a beaucoup de limites à cette pratique :

 

Tout d’abord, très peu de gens font analyser régulièrement l’eau. Il y a donc un apport important dont on ne tient pas compte dans l’analyse de base. En effet, l’eau contient des minéraux et oligo-éléments, parfois en quantités importantes et même au-delà des paramètres acceptables. Je pense ici au souffre, au manganèse, au fer… Et cette concentration peut varier au fil des saisons ou selon les conditions climatiques, surtout avec un puits de surface.

 

Ensuite, les analyses de foin sont incomplètes. Elles ne mesurent pas tous les paramètres et encore moins les détails. Par exemple, il y a un pourcentage de protéines, mais on ne sait pas exactement de quel type il s’agit, ni dans quelle proportion. Aussi, tout dépendant du laboratoire et de l’échantillonnage, les résultats peuvent être variables.

 

Enfin, on ne connaît pas le degré individuel d’absorption ni la sensibilité des chevaux à certains produits (voir plus bas, la qualité des ingrédients). Ceci peut dépendre de l’état de santé de chacun ou d’autres facteurs comme la génétique.[3]

 

En résumé, il est impossible de savoir exactement de quelle base on part pour définir la ration: non seulement les données sont incomplètes, mais elles sont aussi variables. Donc le mieux qu’un professionnel peut faire, c’est une estimation des besoins et non une analyse précise.

 

Ceci dit, je suis d’avis qu’il est important de travailler avec un nutritionniste qualifié, surtout pour déterminer s’il y a des carences ou des excès majeurs dans la ration ou encore pour atteindre la cote de chair adéquate. Par contre, il est important de choisir un nutritionniste indépendant de toute compagnie d’alimentation (voir plus bas : qui fournit la science)!

 

3-    Les suppléments complets sont-ils vraiment "équilibrés" ? (NON)

 

Les compagnies d’alimentation offrent toutes des "formules équilibrées" en nutriments, élaborés par des experts agronomes et nutritionnistes, en fonction des besoins spécifiques des animaux selon leur stade de vie (poulain en croissance, cheval de sport ou à l’entretien, poulinière, sénior). Elles prétendent toutes avoir LE bon ratio pour optimiser la santé du cheval, en respect des recommandations du NRC. Mais, en réalité, chaque compagnie offre un ratio complètement différent l’une de l’autre. Alors qui dit vrai?

 

En fait, c’est qu’il y a toute une marge de manœuvre dans les recommandations du NRC, entre la dose "minimale requise", la dose "recommandable" et la dose "maximale sécuritaire". Il y a donc place à interprétation...  Et à l’intérieur de ce terrain de jeu, chacun a sa propre idée de ce qui est préférable mais surtout, le plus vendeur et le moins cher à produire.

 

À titre d’exemple, voici un tableau comparatif des différents suppléments "complets" pour chevaux à l’entretien, disponibles dans notre région, considérant la dose quotidienne recommandée par le fabricant:



 

De plus, les recommandations du NRC sont basées sur des produits de synthèse, et devraient être révisées à la baisse si on offre des compléments de sources naturelles qui ont une meilleure biodisponibilité.[4] Cependant, il y a de plus en plus de produits commerciaux qui mixent les deux sources, sans pour autant changer les dosages.

 

Enfin, il y a certains ratios qui sont respectés par la plupart des compagnies d’alimentation (par exemple le ratio Ca :P, lequel est primordial pour la santé des os). Mais les études manquent ou sont très limitées quant aux interactions entre vitamines/minéraux de façon plus étendue (voir plus bas, les interactions).

 

En bref,"équilibrer une ration" est possible seulement si les quatre éléments suivants sont réunis :

  • On sait exactement ce que fournit la ration de base (foin et eau)

  • On sait quels sont les besoins exacts de chaque cheval et sa sensibilité individuelle

  • On tient compte des interactions

  • On connait la biodisponibilité exacte des produits


Vous l'aurez compris: toute supplémentation demeure subjective et en partie aléatoire, puisqu'il n'est pas possible de réunir ces quatre conditioins avec exactitude.

 

4-    Les suppléments complets tiennent-ils compte des interactions? (NON)

 

C’est assez bien connu, les nutriments sont des "joueurs d’équipe" :  s’il manque un joueur dans l’équipe, ou si deux joueurs se disputent la même position, il y aura certainement une baisse de performance.

 

Ainsi, la présence d’un élément peut contribuer ou nuire à l’absorption d’un autre.

 

Par exemple, chez l’humain, le calcium réduit l’absorption du fer [15]. Donc les patients qui doivent prendre du fer sont avisés d’éviter les produits laitiers quelques heures avant et après la prise de leur complément.

 

Or, dans les suppléments "complets" pour chevaux, tout est mis dans le même pellet ou la même poudre. Il n’est pas surprenant que l’efficacité soit diminuée!

 

Dans les années 80, une revue à l'attention des vétérinaires avait été publiée sur les minéraux (incluant les interactions) et le graphique suivant représente une partie des découvertes. Mais les études manquent encore pour réellement comprendre l’ampleur de ce phénomène.



Et pour amplifier ce problème, il y a souvent des saveurs et des liants ajoutés aux suppléments complets pour les rendre acceptables par l’animal. Ainsi, on truque son instinct, et on force l’ingestion de certains produits dont il n’a peut-être pas du tout besoin, ce qui peut mener à des excès - soit en raison des ratios inappropriés, soit en raison d’une trop grande quantité ingérée.

 

En bref : les suppléments "complets" ne sont pas optimaux puisqu’ils ne tiennent pas compte des interactions ni de la compétition d’absorption. De plus, les ratios proposés peuvent être inappropriés pour un cheval en particulier et forcer l’ingestion non-nécessaire de certaines vitamines/minéraux, ce qui amplifie les déséquilibres ou mène à des excès. Enfin, on ne connaît pas encore toutes les interactions possibles ni les ratios optimaux, ce qui rend la supplémentation d’autant plus aléatoire.

 

5-    Doit-on supplémenter les chevaux au quotidien, à l’année? (NON)


Le cheval est une espèce qui a survécu grâce à sa capacité de stocker et d’utiliser ses réserves lorsque les ressources sont limitées. C’est ce qui lui a permis de traverser des périodes difficiles et de s’adapter à des conditions extrêmes de climat ou de terrain.

 

De ce fait, est-il logique de supplémenter en continu?

 

Premièrement, on sait que certaines vitamines, notamment les vitamines liposolubles (A, D, E, K), s’accumulent dans le foie et les tissus. Elles peuvent donc être toxiques en trop grande quantité[7].

 

Ceci dit, plusieurs vitamines de synthèse ne sont pas bien assimilées, en raison de leur faible biodisponibilité (voir plus bas, "la qualité des ingrédients").

Pour cette raison, les compagnies d’alimentation boostent la dose, en espérant que les chevaux en tirent la quantité suffisante. Mais qu’advient-il de l’excédent?

 

Au mieux, ça ne fait rien. Au pire, c’est toxique. Mais dans tous les cas, ça crée un stress d’élimination sur tout l’organisme, particulièrement le foie et les riens.

 

Deuxièmement, le cheval a la capacité de produire certaines vitamines. C’est le cas notamment de la vitamine C qui est synthétisée dans le foie. Or, une supplémentation externe vient stopper ce processus de fabrication et altère le fonctionnement normal de l'organisme, puisque le corps n’a plus besoin de faire le travail [8].

En conséquence, soit on doit poursuivre la supplémentation à vie, soit on doit prévoir un sevrage très progressif et espérer que le corps retrouve ses capacités. 


Aura-t-on réellement rendu service à notre cheval si sa condition ne justifiait pas une supplémentation à la base?  Chose certaine, on aura rendu service à la compagnie d’alimentation$$$… Mais à quel prix?

 

En résumé, la supplémentation quotidienne, en continu, a le potentiel d’être nuisible : Soit en créant des excès (avec ou sans toxicité), soit en créant des dépendances. Elle cause aussi un stress d’élimination, surtout si on donne des doses augmentées de produits dont la biodisponibilité est questionnable.

 

Je termine ce sujet avec les questions suivantes : en considérant l’évolution du cheval, est-il possible que les phases de "déstockage" aient un rôle à jouer dans sa santé globale? Est-il possible que la supplémentation en continu soit contre-productive ou que l’animal développe une tolérance réduisant l’efficacité? Et si on engorgeait nos chevaux avec cette pratique?

 

6-    Qu’est-ce qui cause les carences?

 

De toute évidence, un cheval négligé et en manque de nourriture souffrira de carences.

 

Par contre, si vous avez bien suivi jusqu’à présent, vous aurez compris que les interactions entre vitamines/minéraux peuvent aussi interférer avec l’absorption et qu’il peut y avoir une certaine compétition si le cheval les ingère simultanément, ou si un élément est en excès par rapport aux besoins.

 

Donc la question se pose : en cas de carence décelée chez un cheval, est-il possible que la cause soit un excès dans l'alimentation, plutôt qu’un manque?

 

Est-il possible que la meilleure solution soit de retirer quelque chose de l’alimentation, ou d’espacer les prises, plutôt que d’ajouter un nouveau supplément ou augmenter la dose?

 

Si on garde en tête que les problèmes de santé les plus fréquents chez nos chevaux modernes sont l’obésité, les troubles métaboliques, inflammatoires et articulaires, et que ces problèmes ont un lien étroit avec l’alimentation (notamment les excès!), je crois qu’on ferait mieux de réfléchir longuement à cette question. Comme on dit : trop, c’est comme pas assez!


7-    Et la qualité des ingrédients dans tout ça ?

 

En recherchant le sujet de la vitamine E pour les chevaux, ça m’a ouvert les yeux sur tout un aspect de l’industrie alimentaire, que j'aurais préféré ignorer. Car ce qui suit est plutôt déprimant:

 

Tout d’abord, les fabricants d’aliments pour animaux sont toujours à la recherche des matières premières les moins coûteuses possibles, pour un meilleur profit potentiel. En ce sens, il n’y a rien de mieux que la valorisation des sous-produits de l’industrie agroalimentaire.

 

En gros, la "valorisation", c’est de redonner une valeur aux résidus. C’est du recyclage de déchets, ni plus ni moins, mais ça passe mieux avec un beau mot.

 

Si on prend l’exemple des tourteaux : il s’agit de ce qui reste d’une céréale, après qu’on ait extrait son huile avec des solvants chimiques.

 

La plupart des moulées commerciales sont fabriquées avec ces sous-produits, auxquels on ajoute des saveurs et de liants pour les rendre acceptables par l’animal, puis des vitamines et minéraux de synthèse pour donner une belle analyse nutritionnelle.

 

Mais quelle est la qualité réelle de ces aliments, outre la valeur nutritive théorique sur l’étiquette? Est-ce vraiment assimilable pour le cheval, mais surtout, compatible avec sa nature même? Est-ce qu’il y a plus de bénéfices ou de risques pour sa santé? Où est la vraie nourriture dans tout ça?

 

Je vois aussi des huiles de poissons sur le marché, et honnêtement, ça me donne froid dans le dos. Car peu importe la valeur nutritive d’un tel produit, il n’en demeure pas moins que le cheval n’est pas conçu pour digérer du poisson, encore moins des sous-produits de l’industrie de la pêche.

 

Vous vous rappelez du scandale de la vache folle? Ça s’est passé quand les compagnies ont décidé de valoriser les farines animales (issus des sous-produits d’origine animale) en les incorporant dans les moulées pour bétail. On connaît la suite… Maintenant, cette pratique est bannie, mais on dirait que l’industrie ne veut pas apprendre de cette erreur et répète l’expérience, cette fois avec le poisson.

 

Une autre réalité qui inquiète, c’est l’origine de certains ingrédients. En effet, plusieurs fabricants achètent leurs ingrédients de pays qui vendent moins cher (notamment la Chine) et où les contrôles sont parfois moins stricts. Dans le passé, il y a eu plusieurs scandales de contamination (arsenic, mélamine, entre autres) et de nombreux rappels.

 

Enfin, on peut se questionner sur la valeur des vitamines/minéraux de synthèse, tant au niveau de la provenance des ingrédients que de l'efficacité de ceux-ci.

Je ne serai pas très exhaustive sur le sujet car c’est très complexe, mais le point à retenir c’est que la biologie du cheval (il en va de même pour l’humain) n’est pas faite pour reconnaitre ces composés, et les études démontrent qu’ils ne sont pas aussi absorbables ou utilisables par l’organisme que les équivalents de source naturelle.[6]

 

Si on prend l’exemple de la vitamine E dans les aliments destinés au bétail : la forme synthétique (dl-alpha-tocopherol) provient majoritairement de produits dérivés pétroliers. Quant à la forme naturelle (d-alpha-tocopherol), elle provient d’huile végétale (soja ou palme habituellement, extraite chimiquement pour la plupart). Enfin, il existe une forme liquide hydrosoluble, estimée 5 à 6 fois plus absorbable.[12]


Ceci nous emmène sur un autre aspect, soit la biodisponibilité des suppléments, c’est-à-dire la quantité qui atteint la circulation sanguine comparée à la quantité ingérée. Rappelons ici que les dosages devraient être conséquents à la biodisponibilité d’un produit, si on veut respecter les apports recommandés par le NRC (et surtout éviter d’aller au delà des doses maximales sécuritaires). Voici un petit aperçu des variations selon le type de vitamine E:



Ceci dit, il n’y a rien de "naturel" au fait d’extraire des éléments hors de leur matrice d’origine. En effet, les nutriments isolés – qu’ils soient de source naturelle ou synthétique - n’ont plus les fibres ni les enzymes de l’aliment source pour être digestibles et bien métabolisés par l’animal.


Dans ce contexte, dur à dire quelle est "meilleure" source de compléments entre le naturel et le synthétique. Je vous invite d’ailleurs à lire cet article bien expliqué et nuancé sur le sujet, et à vous méfier du greenwashing!


En bref, plus on s’éloigne de la forme originale d’un aliment, moins on a de chances que ce soit bien toléré ou même bénéfique pour l’organisme.


Lorsqu'un supplément est requis, voici mon avis: less is more. Je préfère une petite quantité d’un produit assimilable, le plus "naturel" possible et en considérant que le cheval est un herbivore, plutôt qu’une grande quantité de "cochonneries". En d’autres mots: la qualité avant la quantité.

 

8-    Qui fournit la science?

 

Un autre défi auquel on fait face, c’est qu’il y a très peu d’études indépendantes sur l’efficacité des suppléments et encore moins sur leurs dangers potentiels ou l’utilisation à long terme chez les animaux. Souvent, c’est le fabricant lui-même qui fournit la "science", et le marketing est très convaincant pour nous faire croire qu’on a besoin de leur produit!

 

Prenons l’exemple de la vitamine E liquide de KER, le NanoE, puisque c’est le produit "à la mode" présentement :


  • Les universités comme UC Davis et spécialistes ne conseillent pas un dosage de vitamine E préventif au-delà de la dose recommandée par le NRC, soit 500-1000iu par jour pour un cheval de 500kg, car les études ne justifient pas les bienfaits. De plus, ces recommendations sont pour la forme synthétique (moins absorbable) et d’autres études démontrent que le dosage devrait être diminué de moitié pour la forme hydrosoluble[4] donc 250-500iu pour le NanoE. Or, sur l'étiquette du fabricant, on suggère un apport quotidien de 1000-2000iu, ce qui correspond entre 2-8X la dose recommandée, et même jusqu’à 10-20X (5000iu) en cas d'événement stressant!


  • Le NRC a établi la dose maximale sécuritaire à 10X la dose recommandée, au-delà de laquelle des effets nuisibles ont été répertoriés, notamment au niveau de la déminéralisation osseuse et de l’interaction avec la vitamine A. Une étude sur les chevaux démontre aussi l’inefficacité et les effets pervers au delà d’un certain dosage. [11] [4] Or, il n’y a pas de référence à ce sujet ni de mise en garde émise par le fabricant.


  • On utilise souvent des etudes sur l'humain ou d'autres espèces pour vanter les bienfaits d'un supplément, mais non lorsque ces études démontrent des effets négatifs. Ainsi, pour la vitamime E chez l'humain, la supplémentation à forte dose a été démontrée inefficace et même nuisible pour certaines pathologies dont le cancer [10]. Il y aurait également une augmentation de la mortalité [13]. Chez les rats, les fortes doses auraient un impact non-sécuritaire pour le foie et les reins [16] Une faible dose quotidienne de vitamine E synthétique a causé une prise de poids et une altération du microbiote [18].


  • On ne connaît toujours pas les risques de l’utilisation de ce supplément à long terme pour les chevaux, ni l'effet cumulatif. Sur le terrain, il a été observé que plusieurs chevaux “plafonnent" après un certain temps d’utilisation de ce supplément. Je vous invite d'ailleurs à lire cet article écrit par un vétérinaire américain ainsi que les études qu'il cite.


  • Certains facteurs endogènes ainsi que le stress oxydatif peuvent être responsables d'une carence en vitamine E, et une supplémentation s'avère contre-productive dans ce contexte [3].


  • Une prise de vitamine E augmente la biodisponibilité de certains medicaments, donc les dosages de ces derniers devraient être révisés lors de la supplémentation. [14]

 

Bref, il ne faut pas se fier au fabricant pour les dosages ni pour nous convaincre des bienfaits d'un produit. Mieux vaut éviter toute forme de supplémentation préventive au-delà de la dose quotidienne recommandée par le NRC, sans d'abord consulter un vétérinaire ou nutritionniste indépendant, au risque de nuire davantage à l'animal.


Dans un autre ordre d'idées, on peut se questionner sur les valeurs de références des tests permettant de déceler une carence en vitamine E:

 

  • Certains experts affirment qu'un résultat sanguin acceptable est >300, alors que la plupart considèrent que >200 est acceptable. Si on se fie aux premiers, presque tous les chevaux seraient en carence de vitamine E![4]


  • Certaines variations de race, d'âge et entre iindividus ont été démontrées, donc la "normale" actuelle ne s'applque pas à tous les chevaux [4]


  • Une étude sur des chevaux sauvages en santé a démontré que leur valeur de base était en deça de la normale (<200). [17]


  • Les résultats de laboratoire sont grandement affectés par la manutention de l'échantillon (réfrigération adéquate, contact avec le bouchon de caoutchouc, exposition à la lumière, hémolyse etc). Ainsi, la possibilité d'obtenir un faux résultat est considérable.[4]


  • Les niveaux de vitamine E fluctuent durant la journée, donc au moins 2 tests sont nécerssaires pour valider qu'un cheval est réellement en carence. [4]


En résumé, avant de supplémenter un cheval à forte dose, mieux vaut s'assurer du besoin réel et de faire le suivi approprié avec un professionel qualifié qui pourra bien évaluer tous les paramètres.


9-    Comment supplémenter intelligemment?

 

Ça, c’est la question à mille piastres! Je n’ai malheureusement pas la réponse. Par contre, je propose des pistes de solutions :

 

Tout d’abord, mieux vaut tester les chevaux pour les carences, plutôt que d’investir dans un supplément préventif. Ainsi, on évite le risque d’excès et on augmente la possibilité de répondre aux besoins individuels.

 

Ensuite, il convient de travailler avec un nutritionniste, afin d’avoir le meilleur portrait possible des apports quotidiens dans la ration mais surtout, éviter des excès potentiels.

 

Par ailleurs, il peut être intéressant de varier les suppléments selon les saisons et de varier aussi les fabricants, afin de ne pas toujours servir le même produit et donc avoir des ratios différents provenant d'ingrédients différents.

 

À Espace Équestre, nous appliquons dorénavant les principes suivants :  

 

  • Privilégier une variété de whole foods (aliments complets) pour combler les besoins, plutôt que des suppléments de vitamines/minéraux concentrés.


  • Lorsqu'un supplément est nécessaire, privilégier de petites quantités de sources naturelles, plutôt qu’une grande quantité de produits peu bio-disponibles, sans toutefois tomber dans le piège du greenswashing.


  • Éviter toute supplémentation en continu, à moins que la condition médicale ne l’exige


  • Utiliser les buffets de minéraux individuels en libre-choix afin d'éviter les interactions ou les excès par les suppléments complets. Un autre blog suivra sur ce sujet en particulier.




Je termine ici avec un rappel du gros bon sens : les chevaux existent depuis des milliers d’années. Les juments sauvages ont toujours pouliné, sans pour autant avoir accès à des ressources différentes du reste du troupeau durant la gestation, ni à des suppléments synthétiques ou de la moulée fortifiée. Il en va de même pour leurs poulains en croissance. Se pourrait-il que la suralimentation et la sur-supplémentation ait un lien avec les maladies articulaires des jeunes chevaux d’aujourd’hui, qui sont devenues presque normales tellement elles sont répandues (OCD, contractures, laxité, DOD)? Il y a déjà des liens établis avec le taux de sucre dans l'alimentation, mais qu'en est-il des autres composantes de la ration?

 

L’autre point que j'aimerais souligner, c’est que nos chevaux domestiques ne font pas autant d’exercice qu’un cheval sauvage. Même les chevaux de "sport" ou "performance" sont pour la plupart gardés dans de petits paddocks ou des boxes pendant plusieurs heures par jour, ce qui n’est aucunement comparable avec la dépense énergétique d’un cheval parcourant plusieurs km par jour pour se nourrir. A mon avis, l'idée que le cheval de sport a des "besoins accrus" relève plutôt de l'antropomorphisme que de la réalité biologique de l'espèce.


En résumé, je crois sincèrement qu’on aurait avantage à réviser notre perception des besoins alimentaires du cheval domestique, car l’obésité, ainsi que les troubles métaboliques et inflammatoires sont un réel fléau de nos jours. De plus, le cheval est concu pour avoir un niveau d'exercice bien supérieur à ce qu'on peut lui offrir et ce, même à l'entrainement complet. Peut-être qu’il y a un "juste milieu" quelque part entre nos pratiques modernes - soit les excès alimentaires et la sédentarité - et le mode de vie du cheval sauvage? Et si on ramenait le balancier au centre?

 


Références:

  1. Bruhn JC, Oliver JC. Effect of storage on tocopherol and carotene concentrations in alfalfa hay. J Dairy Sci 1978; 61: 980982.

  2. National Research Council (US) Subcommittee on Selenium. Washington (DC): National Academies Press (US); 1983.

  3. Ma Y, Peng S, Donnelly CG, Ghosh S, Miller AD, Woolard K, Finno CJ. Genetic polymorphisms in vitamin E transport genes as determinants for risk of equine neuroaxonal dystrophy.       

  4. Finno, CJ and Valberg, SJ. A Comparative Review of Vitamin E and Associated Equine Disorders. J Vet Intern Med. 2012.

  5. Puis, R.Veterinary trace mineral deficiency and toxicity information

  6. https://www.healthline.com/nutrition/synthetic-vs-natural-nutrients

  7. Schryver HF. (1990). Mineral and vitamin intoxication in horses. Vet Clin North Am Equine Pract, 6(2), 295-318. https://doi.org/10.1016/s0749-0739(17)30543-6

  8. Ralston S, Stives M. (2012). Supplementation of Ascorbic Acid in Weanling Horses Following Prolonged Transportation. Animals (Basel), 2(2), 184-194. https://doi.org/10.3390/ani2020184

  9. Fargion S., Dongiovanni P., Guzzo A., Colombo S., Valenti L., Fracanzani A.L. Iron and Insulin Resistance. Aliment. Pharmacol. Ther. 2005;22:61–63. doi: 10.1111/j.1365-2036.2005.02599.x.Yukyung Choi, Soomin Lee, Sejeong Kim, Jeeyeon Lee, Jimyeong Ha,

  10. Albanes D, Heinonen OP, Taylor PR et coll. Alpha-tocopherol and beta-carotene supplements and lung cancer incidence in the alpha-tocopherol, beta-carotene cancer prevention study: effects of base-line characteristics and study compliance. Natl Cancer Inst 1996 ; 88 (21) : 1560-70.

  11. Williams CA, Carlucci SA. Oral vitamin E supplementation on oxidative stress, vitamin and antioxidant status in intensely exercised horses. Equine Vet J Suppl 2006; 36: 617621.

  12. Pagan JD, Kane E, Nash D. Form and source of tocopherol affects vitamin E status in Thoroughbred horses. Pferdeheikunde 2005; 21: 101–102.

  13. Miller ER 3rd, Pastor-Barriuso R, Dalal D, et al. Meta-analysis: High-dosage vitamin E supplementation may increase all-cause mortality. Ann Intern Med 2005;

  14. 90Blatt DH, Pryor WA, Mata JE, Rodriguez-Proteau R. Re-evaluation of the relative potency of synthetic and natural alpha-tocopherol: Experimental and clinical observations. J Nutr Biochem 2004; 15: 380–395.

  15. Lonnerdal B. Calcium and iron absorption—Mechanisms and public health relevance. Int. J. Vitam. Nutr. Res. 2010;80:293–299. doi: 10.1024/0300-9831/a000036. - DOI - PubMed

  16. Study of the toxic effect and safety of vitamin E supplement in male albino rats after 30 days of repeated treatment. El-Hak HN, ELaraby EE, Hassan AK, Abbas OA. Heliyon. 2019;5:0. -PMC - PubMed

  17. appai MG, Pudda F, Wolf P, Accioni F, Boatto G, Pinna W, Variation of hematochemical profile and vitamin E status in feral Giara horses from free grazing in the wild to hay feeding during captivity, Journal of Equine Veterinary Science (2020),

  18. Hyemin Oh, Yewon Lee, Yujin Kim & Yohan Yoon (2019): Vitamin E (α-tocopherol) consumption influences gut microbiota composition, International Journal of Food Sciences and Nutrition, DOI: 10.1080/09637486.2019.1639637

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