Que ce soit au sol ou en selle, la peur est un des plus grands obstacles à l’apprentissage et au progrès, mais surtout au plaisir de côtoyer des chevaux. En effet, elle cause des tensions et des réflexes involontaires, en plus de réduire la capacité de concentration, ce qui peut augmenter la réactivité de l’animal et compromettre davantage notre sécurité auprès de lui.
Malheureusement, il est commun de voir une escalade de tension s’installer entre le cavalier et sa monture, chacun alimenté par l’émotion de l’autre. C’est alors que s’accumulent les expériences négatives et que la confiance mutuelle diminue, parfois jusqu’à créer un stress permanent entre les deux.
Dans notre dernier article*, nous avons traité de la peur du cheval. Maintenant, c’est au tour du cavalier!
Les concepts de temps et d’espace
Chez l’humain, la peur s’enracine généralement dans le temps: soit qu’il anticipe le futur (anxiété), soit que le contexte éveille un mauvais souvenir du passé.
Or, pour le cheval (qui vit au moment présent), la peur s’inscrit dans l’espace : il ressent l’émotion « ici et maintenant », ce qui l’incite à fuir ailleurs.
Bien comprendre cette différence est la clé du succès pour développer une relation de confiance entre les deux espèces et s’affranchir de la peur en tant que cavalier.
La peur, c’est quoi et pourquoi ?
Tout d’abord, il est important de savoir que la peur est une émotion, et que son rôle est de nous protéger d’un danger (réel, imaginaire ou potentiel). Elle avertit que notre sécurité (physique ou émotive) est menacée ou compromise.
La peur se manifeste par un flux d’énergie qui traverse le corps et génère des réflexes physiques permettant de fuir ou se défendre : sécrétion d’adrénaline, tensions musculaires, accélération du rythme cardiaque, état de choc, mécanismes de protection émotionnelle (déni, blâmes, repli), etc. Qu’on le veuille ou non, cette énergie ne peut pas être réprimée, bien qu’elle soit parfois refoulée ou non consciente. Cependant, elle demeure perceptible pour le cheval et ce, même à un niveau très subtil.
Le cavalier dans cet état aura des comportements typiques : évitement de situations « à risques », tensions retenues, gestes disproportionnés, justification (trouver des excuses), procrastination, mesures de sécurité exagérées, etc.
Admettre sa peur demande une bonne dose d’humilité. On peut choisir de l’ignorer mais, tôt ou tard, elle reviendra nous hanter jusqu’à ce son message soit entendu. Il est donc primordial de lui accorder toute l’attention qu’elle mérite, afin d’éviter l’engrenage de conséquences négatives!
Les causes de la peur
Les principales causes de la peur que nous avons observées sont:
1- Le manque de contrôle: se trouver en présence d’un cheval qui panique, bouscule et/ou s’enfuit à toute allure mais qu’on ne sait pas maîtriser.
2- La perte d’équilibre: manquer de souplesse ou de tonus musculaire pour bien suivre le mouvement du cheval.
3- L’inconnu ou le manque de connaissance: craindre les nouvelles situations ou tout ce qui n’est pas familier. Ne pas comprendre les comportements ou les besoins exprimés par l’animal.
4- Les fausses croyances : interpréter incorrectement la réalité. Par exemple, croire que le cheval « fait exprès » pour éjecter son cavalier (qu’il agit de façon planifiée), ou prétendre qu’il a des sentiments humains ayant une influence sur son comportement (anthropomorphisme). Les fausses croyances peuvent aussi prendre la forme d’un discours interne limitant (« je ne serai jamais capable », « je ne suis pas assez bon/bonne pour réussir cet exercice », « mon cheval me déteste » etc.).
Deux types de peur : l’amie et l’ennemie
1- La peur-amie
Certains disent que la peur, c’est « du gros bon sens déguisé », car elle prévient d’une situation réellement dangereuse et de notre vulnérabilité face à celle-ci. C'est le cas de la peur-amie.
Par exemple, si un cavalier est constamment bousculé par son cheval, ou s’il n’est pas en mesure de freiner en randonnée, ou encore s’il n’a pas développé suffisamment son assiette pour suivre le mouvement en selle, il craindra certainement de se retrouver dans ces situations car elles sont effectivement à risque de compromettre son intégrité.
Ici, la peur informe le cavalier qu’il est devant un challenge au-delà de ses compétences actuelles. Elle envoie donc un avertissement lorsque la situation ressemble à une expérience passée aux conséquences négatives (perte de contrôle, perte d’équilibre et/ou blessure), dans le but de lui éviter le même dénouement.
Une solution est d’engager un instructeur/entraineur qui enseigne les connaissances et les habiletés requises afin de pallier aux situations problématiques. Ainsi, le premier cavalier apprendra à imposer des limites saines pour protéger son espace personnel, le second améliorera la communication par ses aides en selle et le dernier s’entraînera au développement de l’assiette par des exercices au sol ou en longe.
L’important, c’est de procéder étape par étape afin que chacun soit exposé à des défis cohérents avec son niveau.
La peur-amie se dissout lorsque le cavalier est suffisamment outillé pour relever les défis auxquels il s’expose et qu’il en fait l’expérience à quelques reprises avec succès.
2- La peur-ennemie
Il arrive cependant que la peur ne soit pas fondée, mais plutôt reliée à un trauma ou à l’anxiété extrême. Cette peur est ancrée dans un souvenir ou une croyance limitante qui ne s’applique pas nécessairement à la situation présente, mais qui occasionne des tensions et une hyper-sensibilité aux déclencheurs potentiels.
C’est souvent le cas :
- Après un accident (par exemple une mauvaise chute) : bien que le cavalier soit outillé pour faire face au challenge auquel il est exposé, il a perdu confiance en ses capacités.
- Lorsqu’une fausse croyance (ou le manque de connaissance) influence l’interprétation de la réalité : par exemple, si le cavalier croit que le cheval lui a « volontairement écrasé un pied » alors qu’il a soulevé son membre simplement pour se débarrasser d’une mouche.
- Après avoir ait été exposé à un challenge trop grand pour son niveau : le cavalier est déstabilisé par une situation qu'il ne maîtrise pas complètement.
- Lorsque la peur est liée à l'égo: le cavalier craint d'exposer sa vulnérabilité ou d'aller chercher de l'aide, pour protéger son image. C'est souvent le cas de cavaliers plus avancés qui ne veulent pas perdre un certain statut, ou qui ont de la difficulté à admettre leurs erreurs.
Cette peur a un effet paniquant et/ou paralysant à différents degrés : soit le cavalier perd ses moyens (il n’obtient pas le résultat souhaité, voire même le résultat contraire à ses efforts), soit il n’ose plus sortir de sa zone de confort pour éviter de revivre une mauvaise expérience, soit il développe des mécanismes de défense pour justifier ses insuccès (évitement, justification, blâme du cheval, etc.).
Or, il est primordial d’interpréter objectivement la réalité et de sortir de la zone confort pour qu’il y ait du progrès. Dans le cas de la peur-ennemie, elle limite l’apprentissage et l’évolution. Elle peut même envahir toutes les sphères de la relation cavalier/cheval ou créer un état de stress permanent qui est contre-productif.
Quoi faire avec la peur?
1- Reconnaître ce qui est
Il est important de comprendre que le mécanisme de la peur est similaire à celui de la douleur, c’est-à-dire que son rôle est nous avertir avant que notre intégrité ne soit compromise. Si toutefois on ignore son message et qu’on subit les conséquences désastreuses, alors elle sonnera l’alarme beaucoup plus tôt la prochaine fois…
Il n’y a donc aucun avantage à nier la peur, ou à essayer de la contrôler. La seule façon de s’en affranchir réellement, c’est de l’écouter pour mieux la comprendre.
Par ailleurs, le cheval est extrêmement sensible et perçoit lorsqu’il y a une contradiction entre l’émotion, l’intention et le geste, ce qui lui fait vivre une grande confusion (et par conséquent un stress). Pour cette raison, lorsque le cavalier ignore sa peur, c’est habituellement le début d’une spirale négative et d’une escalade de tension entre lui et son cheval.
La première chose à faire consiste donc à accepter ce qui est : s’arrêter un moment, quitte à dire tout haut « voilà, j’ai peur ».
2- Revenir au présent
Comme nous l’avons vu, la peur chez l’humain est souvent liée au passé ou à l’anticipation du futur, mais rarement au présent. C’est donc en se concentrant sur l'instant présent que le cavalier peut stopper l'engrenage.
Pour ce faire, une approche efficace est celle de la pleine conscience, en dirigeant son attention sur les cinq sens et en nommant tout haut les sensations actuelles. Par exemple : « j’entends mon cœur qui bat vite, je ressens le froid sur mes joues, mes épaules sont crispées » etc.
Ou encore, contrôler volontairement la respiration en comptant les secondes d’inspire/expire, tout en portant une attention particulière à la sensation de l’air qui entre dans les poumons.
De cette façon, le cavalier peut vivre l’émotion au niveau physique lorsqu’elle se manifeste, sans toutefois refouler son énergie (ce qui aurait comme effet de créer des tensions supplémentaires). Dès ce moment, il est plus en mesure de ressentir et de réagir correctement à la situation, car ses réflexes et ses gestes physiques ne sont plus teintés d’émotion, d’anxiété ou d’une interprétation non-objective de la réalité : sa cohérence corps/esprit devient beaucoup plus juste et claire pour le cheval.
Il est parfois difficile de concentrer son attention sur le présent, surtout lorsque la peur est bien ancrée. Mais, comme toute habileté, c’est une question de pratique: plus le cavalier s’exerce en situation « normale », plus il sera facile d’accéder à cet habileté en situation de stress.
Plusieurs techniques sont intéressantes à explorer à l’extérieur de la relation avec le cheval, notamment la méditation, la cohérence cardiaque, l’hypnose, la respiration, le Qi-gong et le yoga. Elles sont à intégrer au programme d’entraînement global pour apprendre à gérer la peur!
3- Écouter le message de la peur
Une fois la peur acceptée et vécue au point de vue physique, il convient d'écouter son son message à un autre niveau :
- De quoi suis-je menacé ? (Danger physique ou psychique)
- Ce danger est-il réel en ce moment? (Peur amie ou peur ennemie)
- Suis-je outillé pour gérer la situation?
Ces questions et les réponses vont permettre de décider quoi faire pour la suite: si le danger est réel et que le cavalier n’est pas outillé pour y faire face, mieux vaut se retirer de la situation ou demander de l’aide.
4- Affronter (ou non) la situation - Déterminer la zone confort
Lorsqu'on travaille sur la peur, il est important d’aller chercher de l’aide et d’élaborer un plan d’action précis avec des objectifs réalistes et progressifs.
Selon le cas, le cavalier pourra se tourner vers un professionnel en comportement équin, un entraîneur spécialisé, l’achat d’un équipement adapté ou un coach de vie/thérapeute.
Tout d'abord, il convient de dresser la liste de capacités actuelles du cavalier, ainsi que des limites réelles et des déclencheurs de la peur, pour ensuite déterminer exactement où se situe la frontière de sa « zone confort ».
Puis, dans certaines circonstances contrôlées (mais pas nécessairement tous les jours), le cavalier pourra choisir de s’approcher le plus possible de cette frontière, et parfois même la traverser selon un objectif précis, pour mieux revenir dans la zone confort ensuite.
Wendy Murdoch nomme cette approche « flirt with the line », qui est basée sur le livre de gestion de la douleur « Explain Pain » par David S. Butler. En quelque sorte, c’est d’apprendre à reconnaître ses limites, et de décider quand, pourquoi et comment les surpasser.
Le but ici est d’explorer la zone de peur en s’exposant à des challenges mesurés qui permettront de développer de nouvelles habiletés.
En sachant qu’il n’y a pas d’apprentissage sans erreur ni inconfort, le cavalier peut choisir consciemment d’aller (ou pas) en zone vulnérable. Il est maître de cette décision en tout temps.
Nourrir ce qu'on veut voir grandir
En parallèle, il est important de connaître les bénéfices à explorer la zone d’inconfort :
« En quoi serai-je gagnant une fois l’objectif accompli? ». Ceci aidera grandement à la motivation.
Un puissant outil consiste à visualiser le résultat positif, afin de ressentir l’émotion qui remplacera éventuellement la peur. L'hypnose est aussi très efficace en ce sens.
Il est important de ne pas sous-estimer cette étape, et de la pratiquer régulièrement, car elle est extrêmement bénéfique: on arrive parfois à remplacer complètement la peur par une émotion plus positive, simplement en travaillant de cette façon!
En résumé
S’affranchir de la peur nécessite un travail sur soi : reconnaître l’émotion, écouter son message et aller chercher de l’aide au besoin.
De plus, cette émotion s’enracine dans le temps chez l’humain, mais dans l’espace pour l'animal: il est donc important d’apprendre à diriger notre attention au présent pour mieux contrôler notre corps et encadrer le cheval dans l'espace, sans toutefois retenir de tension d’un instant à l’autre. C'est l'art de savoir réagir à ce qui est, ici et maintenant, et de lâcher prise sur tout le reste.
Enfin, il est parfois nécessaire de sortir de sa zone confort pour confronter certaines croyances limitantes, acquérir davantage de connaissances ou de nouvelles habiletés, mais il s'agit d'une décision consciente avec un objectif précis et des bénéfices mesurables. C'est ainsi que le cavalier développe ses compétences et bâtit sa confiance en lui, un pas à la fois. Il ne s'agit donc pas d'éliminer la peur, mais bien de l'apprivoiser!
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